Le projet individualisé ou la construction de l’architecture de vie d’une personne.

Lorsqu’on observe la place de l’homme dans le vivant, on arrive à la conclusion que l’homme seul ne peut plus penser seul, qu’il est obligé de s’entourer d’une équipe. Le piège de la pensée serait de faire un galimatias théorique, une sorte d’oecuménisme des genres. Ce n’est pas du tout cela! Il s’agit d’associer des gens de disciplines diverses, pour éclairer un même objet différemment. – Boris Cyrulnik

INTRODUCTION

Le projet de réalisation personnelle (PRP) est en lien avec les principes de l’ingénierie de l’écologie psychosociale qui représente un ensemble de connaissances qui explique la dynamique de l’équilibre des rapports humains.

L’ingénierie de l’écologie psychosociale s’applique à une multitude de domaines liés aux rapports humains. Elle est surtout utilisée pour développer des stratégies d’intervention destinées à soutenir l’intégration sociale de populations spécifiques ; l’évaluation de la qualité de structures de services sociaux; les stratégies de communication; le développement organisationnel; le développement de projet.

Dans ses dimensions d’évaluation de la qualité, l’ingénierie psychosociale s’intéresse notamment à l’interaction de trois phénomènes psychosociaux :

  • les dynamiques liées à la perception des personnes qui dévient des normes sociales en vigueur dans une collectivité,
  • comment ces perceptions influencent l’intégration sociale de ces personnes et leur fonctionnement dans cette collectivité, et
  • comment l’intégration sociale de ces personnes modifie le fonctionnement et les normes sociales de la collectivité.

En appliquant les principes d’ingénierie de l’écologie psychosociale aux populations habituellement prises en charge ou accompagnées par des structures de services, on peut émettre l’hypothèse que plus une personne en risque d’être exclue et dévalorisée socialement est en mesure de se percevoir et de se faire percevoir positivement dans sa collectivité, moins elle sera apte à être exclue ou dévalorisée socialement et plus elle sera apte à être incluse et valorisée ou à tout le moins acceptée.

L’ensemble de la démarche repose sur l’observation de faits mesurables, analysés indépendamment les uns des autres, sans tenir compte des causes, des intentions et des discours, ces éléments étant davantage pris en compte dans les pistes de travail et d’amélioration formulées suite aux travaux d’évaluation.

Ainsi, les formes d'action que recouvre l'ingénierie de l’écologie psychosociale sont avant tout un ensemble de méthodes et compétences qui visent à aider les acteurs sociaux, les institutions, les clients des services à conduire des actions permettant d'améliorer les conditions de vie et développer des réseaux de solidarité. Plus qu'un savoir-faire, il s'agit en quelque sorte d'un « savoir-faire-faire ».

L’ingénierie de l’écologie psychosociale recouvre des capacités de diagnostic, d'organisation, de planification, de négociation, de réalisation et d'évaluation qui sont ainsi mises à la disposition des acteurs pour favoriser le développement des initiatives et soutenir leur mise en oeuvre. L'ingénierie proprement dite ne consiste pas à réaliser ces actions, mais à créer les conditions, mobiliser les moyens, construire des dispositifs, pour exploiter les potentialités et développer les capacités des acteurs. Il s'agit donc d'une fonction d'appui logistique et d'assistance méthodologique aux acteurs.

Cette fonction vise à impulser l’élaboration et la mise en oeuvre de projets de développement qui peuvent impliquer la création de nouvelles structures et le soutien à des actions innovantes. Cette fonction vise également la modification du fonctionnement des services et des organisations qui interviennent pour améliorer leur efficacité et leur capacité de traitement des problèmes. Elle vise enfin à mieux prendre en compte les demandes et les attentes des clients.

L'outil d'intervention privilégié de l’ingénierie de l’écologie psychosociale est la conduite de projets, avec pour objectif la diffusion d'une culture de projet parmi les acteurs concernés, afin qu'ils soient à terme en capacité de les développer eux-mêmes.

À travers l'assistance à l'élaboration de projets, l’ingénierie remplit une fonction d'apprentissage en situation pour les acteurs qui se forment ainsi dans l'action. Cela suppose tout d'abord une compétence de diagnostic des problèmes auxquels une population, un client est confronté, mais aussi de repérage des potentialités inexploitées dont ils disposent et des possibilités de mobilisation et de développement de leurs capacités d'action.

Ces diagnostics ne doivent pas être réalisés de l’extérieur par rapport aux acteurs concernés : Ils doivent être conduits en étroite coopération avec eux, de manière à constituer des supports de réflexion, d'action collective, et leur permettre de se saisir des résultats. Ces diagnostics doivent permettre d'identifier les perspectives d'évolution des situations sur lesquelles on souhaite intervenir, en fonction de la nature des problèmes et des capacités des acteurs que l'on peut mobiliser. À partir de ces orientations, on peut définir la nature des actions qu'il est souhaitable de mettre en oeuvre et construire ainsi le système d'actions susceptible de résoudre les problèmes auxquels on s'affronte.

L'élaboration de ces systèmes d'action et leur mise en oeuvre nécessitent la mise en place de dispositifs de coopération entre les différents partenaires concernés, en associant les décideurs, les financeurs, les opérateurs et les destinataires en veillant à clarifier les responsabilités, les rôles et la contribution de chacun. Cela suppose d'organiser les processus de décision et de choisir des modes d'intervention adaptés aux attentes des destinataires.

L’ingénierie de l’écologie psychosociale suppose donc à la fois une compréhension des processus et des capacités de négociation, d'organisation et de communication, aussi bien avec les personnes en difficulté qu'avec les décideurs.

En définitive, l’ingénierie présuppose que toute situation problématique n'est pas inéluctable. Cette démarche réfute les conceptions déterministes, selon lesquelles tout se reproduit de manière implacable.

Elle nécessite une capacité permanente d'articuler l'analyse et l'action.

PROJET DE REALISATION PERSONNELLE

Ainsi, le PRP représente une nouvelle approche de programmation fondée sur des valeurs qui visent prioritairement à promouvoir l’autonomie et à faciliter l’intégration sociale en milieu ordinaire de personnes présentant des besoins spécifiques liés à des déficiences, des incapacités, des handicaps ou des situations personnelles particulières.

Dans cette approche, le principal intéressé, c’est à dire le client d’un service, est appelé à s’impliquer et à se responsabiliser personnellement dans l’identification et l’évaluation de ses propres besoins, leur priorisation et l’élaboration de moyens permettant d’y répondre, en devenant membre actif d’une équipe composée à la fois de professionnels, le cas échéant de son représentant et enfin de personnes choisies parmi celles qui lui sont proches.

Développé et expérimenté sous plusieurs formes et notamment celle du Plan de Services Individualisés (PSI) largement utilisé dans les contextes les plus variés en Amérique du Nord et en Europe, le PRP se veut une méthode de coordination dynamique, souple et susceptible d’être adaptée dans des contextes très variables, aux personnes, à leurs besoins et aux situations particulières qu’elles vivent.

Cette approche intéresse tout particulièrement les clients-utilisateurs de services sociaux ou sanitaires, ainsi que les intervenants professionnels et non-professionnels touchant notamment  aux secteurs de la santé mentale, de la déficience intellectuelle, des handicaps physiques ou sensoriels, de la toxicomanie ou bien encore de la mésadaptation sociale. Les champs de l’intervention psychosociale, ceux de l’éducation spécialisée, de la réadaptation ainsi que de la réinsertion sociale sont plus particulièrement concernés par ce type de méthologie.

La méthode proposée vise à soutenir les clients-utilisateurs de services qui souhaitent faire le point sur leur vie et réaliser un projet personnel. Elle est également destinée aux professionnels partenaires de ces clients-utilisateurs de services, à leurs proches et à leurs intervenants les plus significatifs. Le PRP intéresse ainsi tout acteur socio-sanitaire ou psychosocial désireux d’organiser ses interventions auprès de sa clientèle d’une façon plus personnalisée, dynamique et davantage interactive.

Simple dans sa formulation, le PRP constitue une manière de faire et de s’organiser sensiblement différente des approches traditionnelles. Ces dernières ont souvent tendance à considérer la personne de manière passive, comme un « objet de soins » , à la prendre en charge, souvent à décider à sa place, à la considérer comme bénéficiaire ou usagère mais non comme partenaire actif.

Le PRP imposant aux intervenants et aux dispositifs institutionnels à la fois une remise en question de leurs modes d’approche des clients et de leurs proches ainsi qu’une nouvelle définition de la place et du rôle qu’ils leur reconnaissent, il est essentiel que son exploitation repose sur une réelle compréhension des valeurs qui le fondent, de ses aspects méthodologiques et des conséquences de son utilisation.

La présente approche a été élaborée grâce aux expériences et applications de diverses équipes canadiennes, québécoises et européennes qui se sont attachées depuis plusieurs années à adapter des méthodes de « planification de programmes individuels » types PPI ou PSI.

LE PRP : SES ORIGINES  ET LES VALEURS QUI LE SOUS-TENDENT

Les origines et les fondements du PRP sont diversifiés : idéologiques, cliniques et systémiques.

Le PRP trouve ses principales origines idéologiques dans deux courants : le principe de la valorisation des rôles sociaux ou VRS et la reconnaissance des droits et libertés fondamentales des personnes qui, pour des raisons liées à l’âge, l’état physique, mental, psychique ou la situation sociale, en sont ou en ont été privés.

Les origines cliniques résident essentiellement dans les techniques de pédagogie individuelle, d’andragogie, dans les méthodes utilisées par les équipes de programmation et de traitement multidisciplinaires (case management) issues des secteurs socio-sanitaires ainsi que dans les différentes approches thérapeutiques fondées sur la responsabilisation de la personne traitée.

Les origines systémiques sont quant à elles principalement liées aux mouvements pour  l’intégration sociale et le maintien dans la communauté des personnes en danger de dévalorisation et/ou de marginalisation.

La Valorisation des Rôles Sociaux

La Valorisation des Rôles Sociaux (VRS) est un courant de pensée issu du champ de la théorie psychosociale, posant l’hypothèse qu’une personne en danger de dévalorisation sociale et à qui on offre la possibilité d’assumer des rôles sociaux ordinaires et valorisés au sein la collectivité, sera ainsi plus apte à être elle-même valorisée et/ou moins exposée à ce risque de dévalorisation.

La VRS est étroitement liée à un certain nombre de stratégies et notamment :

- La reconnaissance et le respect des personnes avec leurs besoins réels et personnels afin qu’une réponse puisse leur être apportée et de la meilleure façon possible ;

- La valorisation de l’image de la personne afin que celle-ci puisse être perçue positivement et par le fait même devienne plus apte à être valorisée ;

- La compensation des déficiences de la personne et de sa vulnérabilité par une réduction de ses incapacités en développant ses compétences et en lui offrant une aide, un soutien et des moyens adaptés ;

- L’intégration sociale de la personne pour qu’elle puisse vivre dans la collectivité, y jouer des rôles sociaux valorisés et se créer des liens personnels significatifs et reconnus.

La personne dans sa globalité

Dans l’approche PRP, la personne est reconnue et appréhendée comme un tout bio-psycho-social, intégré à l’écologie de son milieu. Toute personne est « sujet de droits » (selon la notion de droit commun britannique : sujet de droits implique droits et responsabilités des citoyens, communs à tous) et possède entre autres, certains droits vis-à-vis des services qu’elle utilise.

Chaque personne est unique et, en conséquence, a des besoins spécifiques qui lui sont propres. Elle possède enfin un potentiel de développement, indépendamment de sa situation et de son âge, ainsi qu’un potentiel d’autonomie qui lui sont propres. Chaque personne a et doit assumer son propre projet et doit être accompagnée en conséquence.

Le potentiel de la communauté

Le réseau de la personne peut souvent contribuer à répondre à ses besoins mieux qu’un quelconque service ou intervenant, pour autant qu’ils disposent des soutiens adéquats.

Avec ses ressources humaines et matérielles, la communauté ordinaire est le lieu qui offre le plus grand potentiel de croissance, de développement et d’expériences valorisantes pour la personne.

La fonction des services

Les services (institutionnels ou sous la forme de personnes-ressources) s’adressant aux personnes en difficultés, doivent être conçus comme un soutien à la démarche de celles-ci : ils doivent donc être variés et garantir une continuité dans les prestations offertes, en fonction des besoins multiples et variables de chacun.

Une conception dynamique du système «  personne / communauté / services »

La logique du PRP présuppose une reconnaissance de l’effet dynamique du rapport créé et entretenu entre chacun des éléments des systèmes en présence : le PRP permet alors une réelle mise en oeuvre de l’approche systémique et de celle de l’intervention réseau.

Une prise en charge minimale

Le PRP vise à fournir à la personne un niveau d’aide et de soutien ainsi qu’un dosage approprié des prestations qui favorisent au maximum l’exercice compétent de l’autonomie de celle-ci.

La participation de l’utilisateur et de ses proches

L’utilisateur est le seul membre permanent de l’équipe et est accompagné, dans la plupart des cas, de sa famille ou de son représentant. Membre à part entière de l’équipe, l’utilisateur de services peut assister seul aux réunions et au processus global, être accompagné et dans certains cas représenté par un proche qui le soutient et défend ses intérêts personnels.

Pour favoriser la participation et la responsabilisation du client dans le déroulement de son PRP, il est important que celui-ci soit impliqué dès le début du processus mais aussi de lui expliquer et de vivre avec lui chacune des étapes de celui-ci, de tenir compte de ses goûts, de ses intérêts et de ses aptitudes personnels, de le responsabiliser face aux buts à atteindre et de l’aider à adapter ses objectifs en fonction de ses forces et de ses besoins.

Dans le cas de clients adultes, la question de la participation de la famille peut se poser de façon un peu différente : les utilisateurs doivent avoir le droit de décider eux-mêmes si leurs parents et/ou proches participeront ou non au PRP.

Ceci ne signifie pas pour autant que les parents ou autres proches, qu’il s’agisse de membres de la famille immédiate, du conjoint ou d’amis, n’auront pas un rôle important dans le processus engagé : dans de nombreux cas, leur participation augmentera les chances de réussite du programme mais il faut également admettre que leurs intérêts puissent ne pas toujours coïncider avec ceux du client lui-même.

Certaines familles, comme certains professionnels, n’agissent en effet pas toujours dans le seul intérêt de l’utilisateur. Dans ce cas, il est important de recentrer le travail de l’équipe en priorité sur les intérêts de la personne.

LE PRP : POUR QUI ?

Le Projet de Réalisation Personnelle s’adresse à tous, quels que soient l’âge et la nature des difficultés rencontrées par celles ou ceux pour qui il est mis en place : enfants, adolescents, adultes, personnes âgées.

Il s’adresse aux personnes qui vivent des difficultés d’ordre de santé mentale, à celles qui présentent une déficience intellectuelle, une déficience physique, motrice, sensorielle ou qui rencontrent des difficultés d’adaptation sociale, qui sont aux prises avec une toxicomanie, qui ont des difficultés liées au vieillissement, qui souffrent d’une atteinte médicale dégénérative : en fait, à toutes les personnes qui utilisent des services socio-sanitaires et en particulier celles qui connaissent des situations où leurs besoins nécessitent des réponses complexes impliquant l’apport de plusieurs services et/ou intervenants.

L’utilisation de celui-ci est particulièrement recommandée si la personne est déjà ou souhaite s’engager dans une démarche personnelle d’évolution, si elle construit des projets ou si des changements importants doivent intervenir dans sa vie.

Enfin, le PRP sera d’autant plus pertinent que son utilisation s’inscrira comme soutien à un processus d’intégration sociale et de maintien de la personne dans la communauté en milieu de vie ordinaire.

UNE DEFINITION DU PRP

L’essence du PRP : 4 éléments essentiels

Le PRP, une « association »

Un groupe de personnes composé de partenaires professionnels et non professionnels s’associent volontairement à une personne pour l’accompagner dans sa situation personnelle et l’aider à prendre sa vie et son devenir en mains : il s’agit de l’équipe PRP.

Le PRP, un processus

L’équipe travaille à repérer les défis auxquels la personne doit faire face ainsi que ses forces potentielles, à identifier et à prioriser ses besoins, à définir avec elle des buts et des objectifs, et enfin à développer un ensemble planifié de moyens à mettre en oeuvre pour répondre à ses besoins.

Le PRP, une « démarche de responsabilisation »

Responsabilisation de la personne elle-même, de ses proches et le cas échéant de son représentant, des différents intervenants identifiés comme étant les plus significatifs pour elle.

Le PRP une « méthode de coordination »

Une coordination des efforts des membres de l’équipe et de ceux de la personne, mais aussi coordination des ressources communautaires nécessaires à la réalisation du PRP et à l’intégration sociale de la personne.

La synthèse de ces quatre éléments essentiels : association, processus, démarche de responsabilisation et méthode de coordination peut être résumée dans la définition suivante : « le Programme de Réalisation Personnelle est une méthode d’organisation et de planification de l’accompagnement, de l’aide, des interventions, des services et/ou des ressources à l’intention de personnes utilisatrices de services humains ».

Le PRP a pour buts de promouvoir l’intégration sociale de la personne et de soutenir son développement personnel en l’aidant à reconnaître ses forces, à identifier ses besoins particuliers, à se fixer des buts à atteindre et enfin à développer les stratégies et les moyens permettant de les réaliser et à évaluer son (ses) projet(s).

La méthode proposée vise à coordonner et renforcer l’action des professionnels, à responsabiliser la personne et ses proches, à créer et/ou consolider son réseau naturel de partenaires afin de la soutenir et de l’accompagner dans la construction et la réalisation de son projet de vie.

Une approche centrée sur la personne, ses projets, ses droits et ses responsabilités

Le PRP est fortement influencé par une éthique qui prône explicitement la reconnaissance des droits individuels de la personne :

- celui de décider si oui ou non elle veut recevoir tel ou tel service ou traitement et donc celui d’accepter ou de refuser un accompagnement,

- celui d’avoir connaissance de ce qu’on écrit à son sujet ; de lire et de se faire expliquer son diagnostic ; d’avoir accès à son dossier, de gérer son dossier personnel,

- celui d’être présente et de participer activement aux réunions où l’on discute de sa situation et de son orientation, de ses plans, de son projet de vie,

- celui d’être soutenue et/ou représentée par des proches de son choix si elle n’est pas en mesure de le faire par elle-même,

- celui enfin de décider de son sort, de son avenir, de ses projets.

L’exercice par la personne de ce droit à l’autodétermination et la notion de responsabilité individuelle qui en découlent doivent être, comme pour tout citoyen ordinaire, à la mesure de ses capacités.

La responsabilisation de la personne porte autant sur l’ensemble du cheminement de son projet (préparation, élaboration, réalisation et évaluation) que dans la réalisation d’objectifs spécifiques.

Le PRP : une responsabilité collective

Cette responsabilité porte sur le fait :

- d’offrir à la personne des prestations et des soutiens complémentaires entre services et/ou établissements prestataires et de garantir une continuité de l’accompagnement dans son projet de vie,

- de partager les pouvoirs et de mettre en commun les ressources au service de la personne et de ses proches.

Elle nécessite de clarifier les responsabilités de chacun : comme personne utilisatrice de services, comme intervenant et praticien, comme gestionnaire et comme proche.

Avec le PRP, il s’agit donc de favoriser des projets d’apprentissages individuels, collectifs et communautaires pour provoquer les changements nécessaires, en unissant constamment réflexion et application dans les interventions dialectiques.

Il est nécessaire également de tendre vers le fait que des démarches soient effectuées de manière aussi systématiques que possible pour qu’elles prennent un sens, et pour qu’elle puisse libérer et/ou susciter des forces jusque-là inexistantes en vue d’un changement.

Ce projet social met l’accent sur la relation interactive entre les caractéristiques individuelles et les obstacles sociaux; il est lié au projet de vie de l’individu comme étant ce qui va le guider dans sa trajectoire de la naissance à la mort.

Il s’agit alors également de gérer un projet de développement qui se situe au carrefour de problèmes et d’enjeux politiques, économiques, philosophiques, sociologiques et méthodologiques.

L’ingénierie de projet devient alors une réponse possible pour les travailleurs psychosociaux, en ce sens que l’approche plus globale des problèmes auxquels sont confrontés les personnes et les groupes sociaux les plus défavorisés ont permis de trouver des modes d’interventions associant la communauté locale, les usagers et leurs réseaux d’appartenance.

En fondant le développement social sur une démarche de projet, on essaie de rompre avec le fonctionnement social qui tend à la reproduction des situations et des institutions.

Faire un projet de développement, c’est délimiter un espace précis à l’intérieur duquel on estime pouvoir agir dans un temps déterminé avec des moyens et selon des méthodes prédéterminées.

Ainsi les opérateurs psychosociaux et gestionnaires deviennent dans leur fonction des personnes capables de prévoir, d’inventer, d’innover, de choisir, d’organiser, de coordonner, d’évaluer, d’informer et de communiquer.

C’est ainsi que peut être les portes de la communauté s’ouvriront aux personnes psychiatrisées, handicapées, dévalorisées.

C’est une question d’éthique.

Quelques axes de réflexion et quelques défis.

1. Créer et gérer une véritable interdisciplinarité en apprenant à se parler, à se connaître et à se reconnaître en sachant que chacun reste ce qu’il est, simplement il doit apprendre à communiquer avec un autre.

Chaque professionnel, chaque proche, chaque parent, chaque personne handicapée reste le même, mais il peut tenter une passerelle vers l’autre et trouver la richesse d’un partenaire.

2. Travailler sur la notion de coordonnateur : comme l’évoque Edgar Morin “la compétence de l’écologue touche les modes de régulation et de déréglement des différents éléments qui constituent un écosystème. Jouant un rôle de chef d’orchestre, il va faire appel au savoir des spécialistes. » Pour nous le coordonnateur met en lien différents spécialistes concernés qui étudient un système très complexe, dont tous les éléments sont en relation, tout en incorporant les connaissances-clés de leurs disciplines.

3. Quitter la fragmentation. Comme le dit B. Cyrulnik « c’est  la fragmentation (c’est à dire, qui consiste à faire des objets partiels) qui a donné à l’occident le pouvoir technique et intellectuel. La pensée occidentale (et c’est son grand piège) a fini par croire que la partie peut être séparée du tout, alors que la partie est un élément du tout. Nos spécialistes ont fait des performances tellement bonnes que leur discours social admet que le morceau peut être séparé du tout. On fait une partie, une découpe artificielle, mais une découpe didactique. Après l’avoir manipulée expérimentalement, on oublie ou l’on refuse de la réintégrer dans le tout. »

4. Se donner aussi les moyens de faire en sorte que le projet individuel s’inscrive dans le contexte de la communauté car “on ne peut parler de l’être humain, sans le considérer à la fois comme un être biologique, culturel, psychologique et social.”

Nous sommes encore loin d’avoir compris la nécessité de relier.

5. Evaluer et observer, comme moyens de garantir la qualité du projet personnalisé :Avec l’observation, Ruth Canter Kohn nous dit : “cela m’intrigue de chercher à comprendre les choses. Même si je ne trouve pas forcément de réponses satisfaisantes, je trouve de toute façon des éclairages, je découvre des éléments et des perspectives inattendus. En fait, ces pistes à poursuivre m’apportent encore plus que des réponses définitives, car elles m’attirent toujours plus loin, elles m’empêchent de m’arrêter là, assouvie. C’est une aventure.

(...) Mon projet d’action et de relations individuelles s’inscrit dans un projet éducatif, qui à son tour trouve ses finalités dans un projet de vie et de société.”

Par ailleurs des pratiques d’évaluation systématique et rigoureuse doivent être développées dans tous les domaines de l’action.

L’évaluation doit faire partie du processus normal de gestion des projets au même titre que la conception, l’organisation, la planification et l’action. Elle doit être inscrite dans les différents processus de mise en œuvre des projets.

Des évaluations doivent être planifiées afin de permettre une garantie de l’atteinte des finalités fixées en lien avec les valeurs annoncées.

Ainsi, il est essentiel que les personnes engagées dans la défense du droit des personnes, à voir préserver leur identité et leur dignité humaine et sociale, sachent reconnaître en quoi et comment la pratique évaluative peut non seulement permettre d’identifier à un moment donné des écarts inévitables entre intentions et réalités, d’élaborer les régulations nécessaires, mais aussi et surtout offrir l’occasion de réaffirmer ainsi et chaque fois, ces intentions et les valeurs sur lesquelles elles se fondent.

6. Faire vivre l’idée du projet individuel-personnalisé en le débattant pour éviter les causalités linéaires qui sont abusives et donner au monde une vision réductrice et donc sécurisante. “Dès l’instant où j’ai une certitude, la certitude est le meilleur de mes tranquillisants ; or, on connaît les effets des tranquillisants, ils font dormir et engourdissent la pensée.

Si l’on veut vivre, on est voué à débattre et à combattre, c’est évident.”

Ainsi, le PRP doit servir à réfléchir…. Nous devons apprendre à douter du PRP,  de la VRS pour qu’elle ne devienne pas une doctrine

E. Morin nous dit que tout ceci nous confirme que le trésor de la vie et de l’humanité est la diversité. La diversité qui ne nie nullement l’unité…

Pour terminer la question suivante peut se poser: sommes-nous capable nous autres professionnels de vivre une aventure inconnue et capable de ce décentrement de soi-même qu’on appelle l’empathie, cet entraînement à se mettre à la place d’un autre pour lui permettre de vivre son inconnu. C’est, sûrement, s’enrichir, mais c’est un effort, c’est aller comme le dit E. Morin à la découverte d’un nouveau continent mental, d’une nouvelle manière de penser, d’une nouvelle manière d’être homme,” d’être professionnel, car on s’enrichit en s’ouvrant au monde.

C’est peut être ainsi que le projet individuel, personnalisé permettra aux personnes dévalorisées de construire leur architecture de vie.

Cela reste à ce jour un défi.

Alain DUPONT 2005

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